
Notre pays, la Tunisie, petit par sa taille mais grand par sa contribution au développement social et historique de l’humanité, a pu, sans trop de dégâts, réussir, en 2010-2011, un bouleversement institutionnel que certains ont appelé changement, d’autres, évolution ou révolution mais qui, quelle que soit l’appellation, a émerveillé le monde et a été considéré, par de très nombreux observateurs, nationaux ou étrangers, comme étant le prélude au printemps arabe tant attendu et tant espéré.
En effet, il n’y a rien d’étonnant à cet émerveillement parce qu’à travers les péripéties de l’Histoire, ce pays a accompli, tout au long de ses trois millénaires, des réussites exceptionnelles : n’est-ce pas à Carthage que naquit l’illustre général carthaginois Hannibal dont la tactique de guerre est enseignée, à ce jour, dans les grandes écoles militaires du monde occidental car c’est bien lui qui utilisa, pour la première fois, la tactique de l’enveloppement de l’ennemi qui lui a permis d’infliger à l’armée de Rome de nombreuses défaites, même sur le sol italien !
Et c’est bien là que naquit, au quatorzième siècle en 1332, le grand sociologue Abderrahmen Ibn Khaldoun, reconnu dans le monde entier comme étant le père de la sociologie universelle et qui marqua son temps par ses remarquables études sociales des peuples qu’il a connus au cours de ses nombreux voyages en Europe et au Moyen-Orient et qu’il nous a léguées dans son célèbre ouvrage sous le titre de Prolégomènes !
La Tunisie s’est fait remarquer, aussi, au 19e siècle (1846) en étant le premier pays du monde arabo-musulman et africain à avoir aboli l’esclavage par Ahmed Bey 1er. Ce pays nous a enrichis, tout au long de son histoire et surtout au 20° siècle, par une pléiade de remarquables leaders politiques et hommes de lettres qui ont marqué de leur empreinte toute la région nord-africaine et celle du monde arabe dont le poète Aboulkacem Echabbi célèbre par son poème «La volonté de vivre», Farhat Hached, le grand syndicaliste de renommée internationale mort en martyr, et dont le plus illustre d’entre eux a mené la Tunisie à être le premier pays africain à se rebeller contre le colonialisme en recourant, parallèlement aux actions purement politiques, à l’usage de la guérilla contre le colonisateur.
Elle fut aussi, grâce aux grandes qualités de ce Leader unique qui, de 1934 à 1956, marqua de son empreinte, par son charisme, son militantisme, son ascendant, par ses capacités de visionnaire inné et de patriote avéré, par son choix de la politique des étapes et après avoir passé dans les geôles du colonisateur de nombreuses années de prison et d’exil, mena la Tunisie à l’indépendance. Il étonna le monde arabo-musulman, en rendant l’enseignement obligatoire pour les garçons comme pour les filles et gratuit pour tous.
Ce même Leader, devenu célèbre pour ses immenses qualités de grand visionnaire, n’a pas attendu longtemps pour décréter, quelques mois seulement après l’indépendance en 1956, le Code du statut personnel, unique au monde musulman, qui accorda aux femmes les mêmes droits que les hommes.
Cet homme, ce Leader d’envergure exceptionnelle qui marqua de son empreinte non seulement la Tunisie et le Maghreb mais toute l’Afrique et le Moyen-Orient, apprécié en Europe et aux Etats–Unis d’Amérique, est, bien sûr, le président immortel Habib Bourguiba dont l’accueil que lui a réservé, en 1961, la population new-yorkaise, sur invitation du Président Kennedy, demeurera historique par son ampleur.
Le président Bourguiba, qui effectuait sa première visite aux USA a été présenté par le président Kennedy au Congrès américain, réuni avec ses deux chambres, en leur disant : «Mesdames et Messieurs, je vous présente M. le président Habib Bourguiba, le Washington tunisien», ce qui lui a valu une standing ovation de plusieurs minutes.
La raison de cet accueil exceptionnel remonte à la Seconde Guerre mondiale lorsque le leader Bourguiba, emprisonné par les autorités coloniales françaises au Fort St Nicolas à Marseille et alors qu’Hitler remportait victoire après victoire sur les alliés, adressa une lettre au Dr Habib Thameur, membre du bureau politique du Néo-Destour, et demeurée mémorable dans laquelle il lui donnait l’ordre de faire en sorte que la population tunisienne arrête d’encourager les forces de l’Axe (Allemagne, Italie et Japon) mais se tiennent du côté des Forces alliées (France, Grande-Bretagne, USA, etc.) pour être, à la fin de la guerre, du côté des vainqueurs.
Il disait même, dans sa lettre, parce que tous les Tunisiens étaient, à ce moment-là, favorables aux forces de l’Axe: «Si tu n’es pas convaincu, il faut m’obéir, j’en assume l’entière responsabilité devant le Peuple et devant l’Histoire». Et les événements lui ont donné bien raison et les Américains n’ont jamais oublié cette prise de position courageuse digne d’un grand leader.
Aujourd’hui, n’avons-nous pas perdu trop de temps à marquer le pas et à reculer alors que d’autres pays, qui étaient bien loin derrière nous, nous ont,bel et bien devancés dans presque tous les domaines ? Notre pays a été, durant plusieurs décennies, le modèle des pays africains qui, aux assemblées générales de l’Organisation des Nations unies, attendaient la prise de position de notre pays sur les diverses questions posées à l’Organisation internationale pour qu’ils s’alignent sur l’attitude de la Tunisie lors du vote.
Pourquoi avons–nous perdu cette position de leadership morale ?Appartenant à la génération de l’indépendance, je présume qu’il y avait, du temps du président Bourguiba et parmi les milliers de cadres, quelques fonctionnaires ou responsables au service de l’Etat, des personnes corrompues qui devraient rendre des comptes et au besoin être traduites devant la justice.
Cependant, je n’ai jamais entendu le président Bourguiba maltraiter, publiquement, ces cadres et ces personnels et les qualifier de tous les adjectifs négatifs parce que, d’une part, il ne voulait pas minimiser le prestige des cadres du pays dont la grande majorité était honnête et sincère et, d’autre part, il savait que cela porterait préjudice à la Tunisie qui essaie, par tous les moyens, d’attirer les investisseurs potentiels, tunisiens et surtout étrangers, pour créer des emplois, produire et générer de la richesse.
Aussi, le Président Bourguiba engageait des poursuites contre les fautifs sans que cela ne fasse l’objet ni de discours ni de scandale public. Si certains responsables du pays crient sur tous les toits que la plupart des secteurs économiques du pays sont contrôlés par des corrompus, on peut dire adieu aux éventuels investisseurs qui iraient ailleurs fructifier leurs capitaux comme beaucoup l’auraient déjà fait, paraît-il !
Il serait intéressant de demander aux services des statistiques concernés de nous informer sur le nombre et la situation des investisseurs étrangers qui se sont installés en Tunisie au cours de ces trois dernières années pour qu’on soit bien édifié à ce propos. Cependant, il ne faut pas être pitoyable et complaisant à l’égard de pareils énergumènes qui ont trahi la confiance dont ils ont bénéficié et se sont enrichis sur le dos du bon petit peuple ou en faisant usage de procédés illicites.
Ceux-là doivent être traduits en justice et payer cash leurs abus sans scandale ni tapage médiatique car pareilles personnes existeront tant qu’il y a vie sur terre.
Notre pays est riche et même très riche en cadres dans tous les domaines. Ces compétences sont capables de trouver les solutions à tous les problèmes qui se posent au pays, quelles que soient leur importance ou leurs difficultés à condition qu’en haut lieu, on leur fasse confiance et on les encourage à prendre des initiatives.
De plus, nos grands responsables (PDG d’entreprises nationales ou privées, directeurs généraux et directeurs de l’administration centrale et régionale) doivent prendre les initiatives qu’ils croient positives pour notre pays et ne doivent pas avoir de crainte de commettre des erreurs et d’être, sévèrement, sanctionnés.
Or, on a tendance à oublier que ce sont ceux qui ne font rien qui ne se trompent jamais. Je crois que l’épée de Damoclès doit être rangée dans son fourreau pour instaurer un climat de confiance et de sérénité. De même, nos villes, les touristiques et les autres, sont assez sales et pourtant, il suffit de peu de moyens pour les rendre attractives, attirantes, séduisantes et bien accueillantes comme elles étaient avant la révolution.
Nous qui accordons au tourisme l’importance qu’il mérite, nous ne devons pas, à ce propos, rester les bras croisés et les responsables du secteur doivent bouger ou être secoués. Les responsables régionaux concernés sont capables, en très peu de temps, de trouver les solutions adéquates à ces deux questions (ordures et propreté) à condition de leur faire confiance, de leur donner plus d’assurance, de leur relever le moral et de les encourager à être des prospectivistes.
Aussi, avons-nous tout intérêt à résoudre ces problèmes au plus tôt avant que les mêmes difficultés ne se posent ailleurs car, tôt ou tard, ils se poseront, certainement, dans d’autres régions.
Bien que la grande majorité des premières promotions d’officiers aie servi notre pays durant trente à quarante ans, le destin a voulu que notre expérience, pour une bonne partie d’entre nous, soit enrichie par des périodes passées dans d’autres départements ministériels non moins conséquents (Intérieur, Finances, Affaires étrangères, Agriculture…) pour accomplir des fonctions tout aussi séduisantes mais différentes de celles que nous avons assumées dans l’Armée.
Ce passage dans la vie civile nous a permis de mieux connaître et apprécier, non seulement notre pays, la Tunisie, auquel nous avons tout donné sans jamais rien demander, mais encore nos concitoyens des différentes régions avec leurs divers us et coutumes, caractères, personnalités, ambitions, tempéraments, particularités et générosité.
Notre contact avec eux était très enrichissant et nous gardons d’eux les meilleurs souvenirs. Le pouvoir politique ne doit pas oublier que l’Armée nationale, grâce à sa formation continue et à l’immense expérience de très nombreux parmi ses cadres, dispose de brillants éléments qui, que ce soit parmi l’armée active ou les retraités, peuvent rendre d’éminents services au pays. Nombreux parmi eux l’ont, bel et bien, démontré par le passé.
Notre pays, la Tunisie, a atteint durant la gouvernance du président Bourguiba le summum de la gloire et le prestige le plus élevé et sa présence aux sommets et réunions internationaux était des plus recherchée parce que sa participation était, toujours, positive, concrète et certainement fructueuse. Nous avons toutes les compétences pour atteindre et dépasser les meilleurs, alors qu’attendons-nous?
Que Dieu protège la Tunisie éternelle, l’héritière de Carthage et de Kairouan.
B.B.
*Ancien sous-chef d’état-major de l’Armée de terre, ancien commandant de la Brigade saharienne, ancien gouverneur.